Nommer et connaître les plantes

Afin de pénétrer dans l’univers populaire lié au végétal, l’une des premières approches a consisté à comprendre le lien élémentaire qui unit l’homme et la plante: nommer et connaître.
La nomenclature populaire est le fruit d’un subtil dialogue entre les sociétés et l’univers végétal. Elle s’inspire des signes que l’homme lit à travers les plantes. Il peut s’agir de leurs caractéristiques morphologiques (forme, port,...), biologiques (époque de maturité ou de floraison), écologiques (milieu), et de leurs propriétés (alimentaires, médicinales, domestiques ou symboliques). La logique de la classication s’insère dans un mode de perception globale de l’environnement. Beaucoup de noms populaires sont construits à partir de comparaisons analogiques ou métaphoriques. Le règne animal joue notamment un rôle important dans l’imaginaire.
Les noms populaires sont communément construits sur le modèle d’un terme de base, complété par un déterminant.


Le Plantain, ou «Oreille de lièvre»

Nom populaire : Nom français
Langue de bœuf : Consoude officinale
Langue d’oie : Renouée persicaire
Langue de femme : Brize intermédiaire
Oreille de lièvre : Plantain lancéolé
Oreille de putois : Droséra


La Prêle, ou «Queue de renard».

Nombreuses sont les dénominations qui renvoient à l’anatomie animale, telles Yeux de chat (Chicorée sauvage) ou Gueule de loup (Digitale).

D’autres constructions s’appuient sur un terme de base générique, tels Bois, Cano’, Peur’, Pian ou Poir’, qui rassemblent les arbustes et arbrisseaux:
•Bois noir (Bourdaine), Bois punais (Troène et Bourdaine), Bois puant (Cerisier à grappes);
•Cano’qnou (Nerprun purgatif), Cano’on (Cerisier SainteLucie);
•Peur’lan (Nerprun purgatif), Peur’lan blanc (Viorne obier), Peur’lan noir (Troène), Peur’nallier (Prunellier), Peut’varne (Viorne mancienne);
•Pian noir (Bourdaine et Prunellier), Pian blanc (Aubépine);
•Poir’louyo ou Poir’ à bon Dieu (Cenelle, fruits de l’Aubépine), Poir’viro (Myrtille).

Une multitude de plantes portent simplement le terme générique d’Herbe ou d’Harb’, suivi d’un déterminant:
•Herbe à crapaud (Mercuriale), à la Serpent (Ellébore), à Lézard (Capillaire rouge), du Pic vert (Drosera), à la Taupe (Datura stramoine et Euphorbe épurge) dans le registre animal;
•Herbe à la Sainte-Vierge (Stellaire holostée), de la Saint-Jean (Lierre terrestre), de la Saint-Roch (Pulicaire commune et Pulicaire dysentérique) dans le registre religieux.

Les noms vernaculaires varient en fonction des territoires, comme par exemple:

Nom français Nom populaire en Avallonnais en Autunois
Laitue vivace : Écreville : Grazillotte
Anémone pulsatille : Barbe : Anémone de chèvre


Le Bleuet ou «Bluet».


Le Tussilage ou «Pas d’âne».

Linné, grand botaniste du XVIIIe siècle, a classé les plantes selon leurs caractères de reproduction. Elles sont désignées par deux mots latins, le premier pour le genre, le second pour l’espèce: Corylus avellana désigne le Noisetier. Parfois, la classication populaire dépasse le cadre de la taxonomie linéenne. «Des noisetiers, il y en a deux espèces, un a l’écorce blanche, l’autre a l’écorce marron, c’est pas les mêmes espèces». Si le Coudrier blanc croît dans les «terrains humides», le Coudrier brun occupe les «zones de pente et les hauteurs». Le premier est recherché pour sa flexibilité: «Le blanc se travaille mieux, il est plus souple, il pousse là où il y a de l’eau».
Les savoirs populaires sur la nature sont ancrés dans la vie quotidienne des personnes rencontrées. La connaissance est sans cesse animée par la curiosité, le plaisir, voire la passion. «Moi, j’adore la nature, alors j’aime les plantes»... «À chaque instant vous voyez toutes sortes de choses... Je vois de l’Arnica, je vois... Je suis toujours les yeux dans le fossé, dans les haies... C’est une passion vraiment et je regrette de ne pas en savoir davantage encore. On a toujours envie de savoir! » Outre cet engouement, la vie proche de la nature apparaît comme l’un des contextes les plus favorables à la découverte des vertus des plantes. «Le mode de vie, alors! Mes grands-parents, ils vivaient uniquement sur leur ferme... Ils étaient à dix kilomètres de toute habitation. Ils vivaient au milieu des bois. Ils avaient des vaches, des moutons, des chèvres. Il y avait une rivière dans le pré, ils avaient des écrevisses! Il y avait une mare dans la cour avec des carpes! Au bout du pré, il y avait la cressonnière. C’est rigolo, ils vivaient absolument comme ça! Quand ils avaient envie de manger, mon grand-père, on lui avait donné un fusil à balles, il tirait le sanglier! Il faisait du mousseux avec des Poires. C’était vers 1920... Il n’y avait pas d’Asperge? Ma grandmère récoltait les Asperges des bois! Alors, elle faisait des petits paquets de douze ou quinze Asperges qu’elle liait, elle les faisait cuire comme ça... Elle récoltait du Tilleul, elle récoltait de l’Aubépine pour le cœur... »

Souvent des informateurs nous conseillèrent de rencontrer «des gens qui vivent dans des coins reculés dans la campagne» ou «des personnes seules qui vivent dans les bois» parce qu’ils savent beaucoup de choses sur les plantes. Une forte complicité avec l’univers végétal rapprocherait l’homme et la plante, aiguiserait la curiosité et enrichirait le savoir. À travers l’expérience de la solitude, les «personnes seules» développeraient une communication plus forte avec la nature, exempte de toute médiation possible du groupe tenu à l’écart. Confinés dans un espace naturel isolé du social, les solitaires seraient alors capables d’une plus grande lisibilité du monde des plantes et sauraient en décrypter les vertus.


La mémoire collective, entre le savoir oral et l’écrit.

D’autres personnes sont réputées pour le savoir qu’elles détiennent des ouvrages de vulgarisation scientique ou de littérature populaire. Mais cet apprentissage ne dispense d’ouvrir le grand livre de la nature et de ses secrets. «Maman a beaucoup appris non seulement les plantes par elle-même, mais surtout où les trouver, parce qu’il y a des plantes qui existent et on ne sait pas exactement où elles sont... Maman a beaucoup appris par une sœur qui était toujours par vaux et par monts, qui aimait ramasser toutes sortes de choses. » La connaissance se profile dans l’histoire et l’intimité de chacun. «Ce que je sais des plantes médicinales? Il faut que je vous raconte toutes les maladies de mes gosses, alors! »

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