Docteur Monot (1834 - 1914)

Le docteur Monot de Montsauche a eu un grand mérite : celui de dénoncer en 1865 les abus de l'industrie des nourrices dans un mémoire destiné à l'Académie de médecine qui fit scandale : De l'industrie des nourrices et de la mortalité des petits enfants. C'était un acte de courage, l'administration fut très mécontente, le Conseil général s'émut. Mais ce mémoire fut en partie à l'origine de la loi Roussel (1874) qui organisa le système de protection du premier âge.

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Extrait de De l'industrie des nourrices et de la mortalité des petits enfants, p. 86-89.

 

Au lieu de nourrir ces enfants au sein, comme cela était convenu avec les parents, on les gorge d'une nourriture grossière, nullement en rapport avec les facultés digestives. Pour quelques-uns, le biberon remplace le sein de la nourrice.

Souvent couché jambes et bras liés pendant des journées entières, dans un berceau humide et infect, le pauvre enfant ne jouit en aucune façon des avantages que pourrait lui procurer son séjour à la campagne.

Mal vêtus, confinés en trop grand nombre dans un espace trop étroit mal ventilé et mal éclairé (1), la vie est menacée dans sa source même. Les maladies de toutes sortes viennent assaillir ces pauvres créatures ; la constitution s'affaiblit, le corps s'amaigrit, le rachitisme se développe. En même temps surviennent les affections intestinales, celles du cerveau, puis les ophtalmies purulentes, le muguet, etc... ! De là aussi cette mortalité effrayante qui sévit sur les Petis-Paris et dont je ferai connaître les résultats un peu plus loin. Ceux qui échappent aux atteintes de la maladie sont en général condamnés à traîner jusqu'à la fin de leurs jours une existence misérable. Leur organisme a été sapé dans ses fondements ; jamais ils ne jouiront d'une bonne santé.

Il semble véritablement que ces pauvres enfants ne sont pas des créatures humaines, à voir avec quelle indifférence, quelle dureté quelques-uns sont traités. Les femmes qui les élèvent deviennent d'une insensibilité navrante. Deux d'entre elles se rencontrent au village : " Que sonne-t-on ? dit l'une. - Rien, répond l'autre, c'est le glas d'un Paris mort ce matin. " - Une semblable réponse trouble l'esprit ; on se croit en proie à un affreux cauchemar.

Un de ces petits enfants tombe-t-il malade, croyez-vous qu'un médecin sera appelé pour le soigner ? En aucune façon. On ira consulter la meneuse, qui possède des sirops, des remèdes qu'elle a apportés de Paris, et qui, d'après la nourrice, doivent guérir tous les maux possibles, à cause de leur provenance. Si par hasard une nourrice consulte un médecin sur la maladie de son nourrisson, et que l'homme de l'art s'enquiert de ce qui a déjà été fait comme traitement, il reçoit presque toujours la réponse suivante : " Tout a été employé déjà : mon nourrisson a pris des remèdes qui viennent de Paris ".

Les femmes elles-mêmes qui ont déjà nourri à Paris, convaincues qu'elles ont une très grande expérience en médecine, soignent et médicamentent les enfants qui leur sont confiés. - L'un deux fait-il une chute, se luxe-t-il ou se fracture-t-il un membre, on a recours à un empirique qui, après avoir simulé quelques signes cabalistiques sur la partie malade, persuade aux nourrices que quelques jours de repos rétabliront l'enfant. La nature, à cet âge, est quelquefois assez puissante pour opérer des cures merveilleuses, si toutefois l'empirique, non content d'avoir employé les signes cabalistiques dont nous venons de parler, n'a point, par des manoeuvres maladroites ou par l'application de grossiers appareils, compromis ou rendu impossible toute guérison. - Je fus appelé, dans le courant de cette année, pour voir une petite fille âgée de dix mois, qui s'était fracturé le bras en tombant de son berceau ; il y avait dix jours que l'accident avait eu lieu. Après avoir enlevé un semblant d'appareil, je constatai une tuméfaction considérable au point où siégeait la fracture, en même temps qu'une fluctuation notable. Une ouverture pratiquée en ce point donna issue à une grande quantité de pus. Je fus informé alors que le chirurgien de circonstance avait exécuté de très nombreux mouvements de rotation au point fracturé ; je fus convaincu que ces manoeuvres, par les déchirements qu'elles avaient produits dans les chairs, avaient déterminé l'abcès que j'observais.

Le plus souvent le médecin n'est appelé que pour constater le décès de l'enfant. La responsabilité de la nourrice vis-à-vis des parents est à couvert : le médecin a vu l'enfant.

Il faut bien dire encore que quelques médecins n'aiment point à visiter les Petits-Paris. Obligés souvent de parcourir des distances considérables pour se rendre à leur domicile, ils ne reçoivent que rarement les honoraires qui leur sont dûs pour leur déplacement. Souvent aussi, si le médecin, éloigné de toute pharmacie, fournit les médicaments à ces petits malades, non seulement il perd ses honoraires comme médecin, mais il ne reçoit rien pour les fournitures qu'il a faites.

(1) Il n'est point rare de voir deux, trois berceaux superposés sur deux et trois étages en forme de hamac, et attachés à deux montants fixés parallèlement. Tous ces berceaux sont mobiles ; à chacun d'eux est fixée une corde destinée à leur imprimer un mouvement de va-et-vient qui est ponctuellement exécuté par une personne spéciale, chaque fois que l'un des enfants pousse des gémissements. Ce balancement régulier est destiné à rappeler le sommeil chez ces pauvres petits êtres.

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