Claude Regnier

En 1979, l'Académie du Morvan a publié la thèse de Claude Regnier, professeur à l'université de Paris IV sur "Les Parlers du Morvan"...
Le sujet a été largement abordé autrefois : il y a plus d'un siècle, E. de CHAMBURE achevait un glossaire du Morvan, commencé vingt ou trente ans plus tôt, et le présentait comme "une étude sur le langage de cette contrée comparé aux principaux dialectes et patois de France, de la Belgique wallonne et de la Suisse romande". C'est un irremplaçable lexique, rédigé en plein Morvan patoisant, au milieu du XIXème siècle, dont l'abondance n'a d'égal que l'intérêt : intérêt de l'érudit, curieux d'y retrouver l'expression d'un lointain passé ou celle de son enfance, intérêt du linguiste qui puisera largement dans cette sorte de réserve muséale, intérêt du géographe ou de l'historien qui glaneront telle ou telle série de mots évocateurs des hommes de la terre et d'un autre temps. Le "CHAMBURE", comme l'on dit, sorti du milieu champêtre où il a été puisé pour ainsi dire "goutte à goutte", est devenu et restera la Bible de notre langage.

Mais une recherche n'est jamais achevée : la remise en question de l'acquis s'impose tôt ou tard en fonction des moyens d'analyse. Vigilance d'autant plus nécessaire ici que la matière linguistique est de celles qui s'effritent et se dispersent le plus.
Le premier mérite de Claude REGNIER est donc d'avoir songé à poursuivre, selon une méthode nouvelle, l'œuvre si opportunément commencée.
Le second mérite est d'avoir mené son projet à terme. Ce fut dès 1938 que, jeune professeur au lycée de Mâcon, il envisagea de rédiger une thèse sur les parlers du Morvan. Mais la Seconde Guerre mondiale l'obligea à repousser, jusqu'en 1947, sa mise en œuvre. Ce travail a duré vingt ans.

La compétence et la détermination eussent-elles suffi pour soutenir un si long effort ? Claude REGNIER a le cœur morvandiau ! Il n'a pas manqué de le rappeler dans les préliminaires de son ouvrage : né de parents cultivateurs à Saint-Pantaléon, près d'Autun, en 1914, trois mois avant le départ de son père pour la guerre, ce fut à CURGY, berceau de sa famille, qu'il vécut jusqu'à douze ans, chez sa grand mère et à proximité d'une école publique qui devait le conduire au certificat d'études primaires, sous l'œil attentif et perspicace du curé du village. Soucieux d'assurer sa succession, ce prêtre l'orienta, dès que possible, vers l'Institution Saint-Lazare d'Autun.

Pour bien connaître Claude REGNIER, il faut savoir aussi qu'avant de s'engager dans sa carrière et d'y conquérir ses grades de bachelier, licencié, agrégé de grammaire, docteur ès lettres, depuis le lycée de Mâcon, en passant par l'université de Lille et jusqu'à la Sorbonne où il occupe aujourd'hui une chaire de français du Moyen Age, l'auteur des PARLERS DU MORVAN fut d'abord l'un de ces petits paysans qui, jusqu'à six ans, avant d'entrer à "la communale", n'ont jamais su d'autre langue que le patois de leurs parents. Précoce et indélébile imprégnation d'un fonds dialectal qui devait lui donner une aptitude particulière à saisir et à retenir les nuances et les variations de nos parlers, comme dans cet entretien qu'il aime à rappeler, où il reconnut que le témoin de son enquête à Reclesne ne parlait pas exactement le langage de Reclesne mais plutôt celui de Saint-Léger-sous-Beuvray, canton proche, dont cet homme était originaire.

Cependant, en Morvan, la seule connaissance du patois ne suffit pas toujours à mettre en confiance les interlocuteurs et à susciter le colloque souhaité. Quiconque a franchi, dans ce but, l'accès d'une cour de ferme, le sait fort bien. Souvent, la traversée de la cour parait longue jusqu'au petit perron au faîte duquel se dresse, dans l'encadrement d'une porte basse et la main sur le prôme, le maître de maison qui vous regarde venir, sans faire taire le chien. Si le prôme s'ouvre franchement, le moment est proche où l'on vous offrira la chaise et le verre de l'hospitalité. Mais tout cela exige un certain savoir-faire. Claude REGNIER est orfèvre en la matière : le roulement grave de son verbe, directement issu du terroir, rassure toujours avant de charmer. C'est dire que l'élève de C. BRUNEAU et de G. GOUGENHEIM disposait d'atouts particuliers lui permettant de conduire au mieux ses recherches sur les parlers du Morvan selon la dialectologie moderne que lui avait enseignée A. DAUZAT à l'Ecole pratique des hautes études.
Depuis le début du siècle, époque de l'élaboration de L'ATLAS LINGUISTIQUE DE LA FRANCE par J. GILLIERON et E. EDMONT, on ne compose plus de glossaire à la manière de CHAMBURE.

Laissant l'auteur nous conduire et nous éclairer sur la voie de sa savante progression, nous indiquerons seulement le principe de la nouvelle méthode : elle exige la définition préalable de points géographiques où l'enquêteur choisit un interlocuteur local pour lui proposer un thème de conversation dirigée, totalement en patois, afin de provoquer justement l'expression recherchée. Celle ci est ensuite consignée sur la carte avec toute la précision des caractères de l'alphabet phonétique. Ensuite, les points isoglosses, c'est à dire ceux qui correspondent au même fait linguistique, soit de prononciation, soit de vocabulaire, sont reliés par une ligne qui circonscrit la totalité de l'aire dans laquelle ce fait apparaît.

Nous voici assez loin du seul usage des lettres comme expression graphique de notre langue et de l'enquête géographiquement trop limitée de CHAMBURE qui, pour l'essentiel, est resté à l'écoute du monde paysan qui l'entourait, se contentant d'interroger ses deux servantes originaires, l'une d'Arleuf, l'autre d'Alligny ; delà un certain nombre de lacunes qui ont été plus ou moins comblées par d'autres enquêtes.
Il revenait donc à Claude REGNIER de compléter l'œuvre de son prédécesseur avec des matériaux sûrs et de revoir son étymologie. Le meilleur exemple de l'efficacité de cette méthode est bien la détermination originale d'une aire centrale de trente-huit communes, jusqu'alors totalement inaperçue, où l'on utilise toujours un morphème "0", "ou", dérivé du pronom personnel hoc, au régime neutre. De sorte que, si l'on considère les cinq cent trois cartes qui correspondent aux cinq cent trois questions cartographiées parmi les six cents posées, la multiplicité des aires obtenues démontre que notre parler n'est pas du tout homogène - désormais, il ne peut plus être question du "langage de cette contrée" selon CHAMBURE, mais de ses langages.

Dès lors, il est intéressant de rapprocher cette complexité dialectale de ce que nous apprennent d'autres disciplines : les flux et reflux des courants linguistiques supposent un minimum de moyens de communications. Or, une récente recherche de géographie historique a restitué un réseau dense de voies anciennes, en Morvan, ce que ne contredit pas le fameux constat d'abandon et d'embroussaillement dressé par DUPIN, au XIXème siècle. D'autre part, en archéologie protohistorique, le dénombrement des camps-refuges et des enceintes les montre toujours proches d'un site traditionnel d'habitats, c'est à dire de l'un de ces petits cantons naturels reliés à la périphérie du massif par leurs sillons tectoniques, mais isolés, les uns des autres, par les cloisonnements du relief, comme la cuvette de Corancy ou le cirque d'Anost.

Ces deux remarques militent donc en faveur de la pérennité d'un mode d'occupation du sol fondé à la fois, sur une ouverture de l'ensemble du terroir et sur une structure cellulaire, conservatrice. Nous laisserons aux linguistes le soin d'apprécier les incidences de cette conjonction durable sur l'évolution de nos parlers(issus pour la plus grande part du latin avec un petit nombre de mots gaulois et de rares racines germaniques).

Cela dit, on reconnaît généralement au Morvan un rôle de butte témoin dont la population, retranchée dans ses particularismes, n'en est pas moins accessible aux influences dissolvantes du dehors. En notre temps, un nouvel et peut être ultime inventaire s'imposait. Claude REGNIER a soutenu sa thèse en mai 1968. C'est une somme en forme d'atlas linguistique assorti d'un commentaire, dont la valeur scientifique en fait, dans sa discipline, l'un des meilleurs exemples de méthodologie appliquée et un document de référence de grand intérêt pour les chercheurs qui travaillent en deçà et au-delà de nos frontières.
Selon le vœu de G. TAVERDET, responsable de l'Atlas linguistique et ethnologique de Bourgogne et préfacier de la seconde édition de CHAMBURE, l'ouvrage fondamental de Claude REGNIER devait être mis à la disposition de tous.

Les présidents, les élus de nos Assemblées régionales et les membres de l'Académie du Morvan ont unanimement compris l'intérêt culturel du projet : le ministre de la Culture, le Conseil régional de Bourgogne, le Conseil général de la Nièvre, le Conseil général de Saône-et-Loire, le Conseil général de la Côte d'Or, le Parc naturel régional du Morvan et Madame Charles SCHNEIDER nous ont donné les moyens de l'entreprendre. Qu'ils en soient tous remerciés comme doivent l'être aussi Paule BERTRAND, Joseph PETIT et Marcel VIGREUX qui en ont été les maîtres d'œuvre.

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