Vauban «le plus honnête homme de son siècle» (1633-1707)

Sébastien le Prestre, devenu marquis de Vauban, est né en 1633 à Saint-Léger-de-Foucheret, connu aujourd'hui sous le nom de Saint-Léger-Vauban. Il a été baptisé à l'église Notre-Dame-du-Bien-Mourir du même village. Orphelin très jeune et sans fortune, il est entré dans l'armée du prince de Condé à l'âge de dix-sept ans puis, dès l'âge de vingt-deux ans, il est devenu ingénieur militaire du roi Louis XIV qu'il servit pendant cinquante-trois ans. Vauban était à la fois un homme de guerre, un ingénieur, un urbaniste, un économiste, un politique, un réformateur.

Humainement, il se fit remarquer pour sa très grande honnêteté. Aujourd'hui, Vauban est essentiellement connu pour son travail autour des fortifications militaires. Il fit construire, en effet, aux frontières de la France, une ceinture de forteresses aux conceptions nouvelles d'une portée révolutionnaire pour l'époque. Mais Vauban, c'est aussi le défenseur de la misère sociale ainsi qu'un grand humaniste, ingénieur civil et penseur. Il constitua un projet sur " une dîme royale " (ancêtre des impôts) qui permettrait à la paysannerie de vivre de façon moins misérable. Ce projet fut formellement reproché par le roi Louis XIV qui dès lors disgracia Vauban. En 1673, Vauban acquit le château de Bazoches qui devint son bureau d'études privilégié. Il laissa une multitude d'écrits aussi bien sur l'économie que sur la géographie de l'époque, qui constituent des témoignages historiques précieux. Enfin, Vauban reçut en 1704 le bâton de maréchal et mourra quelques années plus tard en 1707. En 1808, Napoléon Ier fit placer le coeur de Vauban aux Invalides tandis que le reste de son corps repose dans l'église de Bazoches.

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Vauban décrit le Morvan au XVIIème siècle

Le pays en général est mauvais, bien qu'il y ait de toutes choses un peu. L'air y est bon et sain, les eaux partout bonnes à boire, mais meilleures et plus abondantes en Morvan qu'au bon pays. Les hommes y viennent grands et assez bien faits, et assez bons hommes de guerre, quand ils sont une fois dépaysés ; mais les terres y sont très mal cultivées, les habitants lâches et paresseux jusqu'à ne pas se donner la peine d'ôter une pierre de leurs héritages dans lesquels la plupart laissent gagner les ronces et méchants arbustes. Ils sont d'ailleurs sans industrie, art, ni manufacture aucune, qui puissent remplir les vides de leur vie, et gagner quelque chose pour les aider à subsister : ce qui provient apparemment de la mauvaise nourriture qu'ils prennent car tout ce qui s'appelle bas peuple ne vit que de pain d'orge et d'avoine mêlées, dont ils n'ôtent pas même le son, ce qui fait qu'il y a tel pain qu'on peut lever par les pailles d'avoine dont il est mêlé. Ils se nourrissent encore de mauvais fruits, la plupart sauvages, et de quelque peu d'herbes potagères de leurs jardins cuites à l'eau, avec un peu d'huile de noix ou de la navette, le plus souvent sans ou avec très peu de sel. Il n'y a que les plus aisés qui mangent du pain de seigle mêlé d'orge et de froment.

Les vins y sont médiocres et ont presque tous un goût de terroir qui les rend désagréables. Le commun du peuple en boit rarement, ne mange pas trois fois de la viande en un an, et use peu de sel ; ce qui se prouve par le débit qui s'en fait, car si douze personnes de commun peuvent ou doivent consommer un minot de sel par an pour le pot et la salière seulement, vingt-deux mille cinq cents personnes qu'il y a dans cette élection en devraient consommer à proportion dix-huit cent soixante et quinze, au lieu de quoi ils n'en consomment pas quinze cents, ce qui se prouve par les extraits du grenier à sel. Il ne faut donc pas s'étonner si des peuples si mal nourris ont si peu de force. A quoi il faut ajouter que ce qu'ils souffrent de la nudité y contribue beaucoup, les trois quarts n'étant vêtus, hiver et été, que de toile à demi pourrie et déchirée, et chaussés de sabots dans lesquels ils ont le pied nu toute l'année. Que si quelqu'un d'eux a des souliers, il en les met que les jours de fêtes et dimanches. L'extrême pauvreté où ils sont réduits (car ils ne possèdent pas un pouce de terre) retombe par contrecoup sur les bourgeois des villes et de la campagne qui sont un peu aisés, et sur la noblesse et le clergé, parce que, prenant leurs terres à bail de métairie, il faut que le maître qui veut avoir un nouveau métayer commence par le dégager et payer ses dettes, garnir sa métairie de bestiaux, et le nourrir lui et sa famille, une année d'avance à ses dépens, et comme ce métayer n'a pour l'ordinaire pas de bien qui puisse répondre de sa conduite, il fait ce qu'il lui plaît et se met souvent peu en peine qui payera ses dettes ; ce qui est très incommode pour tous qui ont des fonds de terre, qui ne reçoivent jamais la juste valeur de leur revenu et essuient souvent de grandes pertes par les fréquentes banqueroutes de ces gens-là.

Le pauvre peuple y est encore accablé d'une autre façon par les prêts de blé et d'argent que les aisés leur font dans leurs besoins, au moyen desquels ils exercent un grosse usure sur eux, sous le nom de présents qu'ils se font donner après les termes de leurs créances échus, pour éviter la contrainte lequel terme n'étant allongé que de trois ou quatre mois il faut un autre présent au bout de ce temps-là, ou essuyer le sergent qui ne manquera pas de faire maison nette. Beaucoup d'autres vexations de ces pauvres gens demeurent au bout de ma plume, pour n'offenser personne.

Comme on ne peut guère pousser la misère plus loin, elle ne manquera pas aussi de produire les effets qui lui sont ordinaires, qui sont premièrement de rendre le peuple faible et mal sain, spécialement les enfants, dont il en meurt beaucoup par défaut de bonne nourriture ; secondement, les hommes fainéants et découragés, comme gens persuadés que, du fruit de leur travail, il n'y aura que la moindre et plus mauvaise partie qui tourne à leur profit ; troisièmement, menteurs, larrons, gens de mauvaise foi, toujours prêts à jurer faux, pourvu qu'on les paye, et à s'enivrer sitôt qu'ils peuvent avoir de quoi.

Voilà le caractère du bas peuple, qui, cependant, des huit parties fait la septième (remarques qui méritent considération).

L'autre partie, qui est la moyenne, vit comme elle peut de son industrie ou de ses rentes, toujours accablée de procès entre eux, ou contre la basse, qui est le menu peuple, ou contre haute ; qui sont les ecclésiastiques et les nobles, soit en demandant ou en défendant, n'y ayant pas de pays dans le royaume où on ait plus d'inclination à plaider que dans celui-là, jusque-là qu'il s'y en trouve assez qui manquant d'affaires pour eux, se chargent volontairement, mais non gratuitement, de celles des autres pour exercer leur savoir-faire.

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