La mauvaise saison

Les gros travaux d’automne, comme le battage du grain ou les labours, laissent place aux travaux d’entretien divers que rend propice le repos de la végétation. L’élagage des haies et leur taille, le «pléchis», occupe une bonne partie du temps, comme les travaux forestiers, coupes de bois d’œuvre et de bois de chauffage, ainsi que l’entretien des biefs dans les prés qu’il faut «biéler». À cette époque s’effectue notamment la récolte de plantes employées pour l’artisanat domestique et agricole ou bien encore destinées à une économie d’appoint.
Sous son paysage terni et figé dans ses premiers frimas, l’hiver se décline sur le mode d’un temps social privilégié. Nombreuses sont les manifestations festives et quotidiennes propices au partage des valeurs culturelles, à la réflexion, qui se vivent au-dedans, au plus près du foyer. «À la morte saison, racontent les anciens, on se retrouvait, ceux des hameaux. Les femmes filaient, tricotaient, les hommes faisaient leur réparation, leur panier, toutes sortes. Il y en avait toujours un pour raconter des histoires. Et ça discutait, c’était des causeries! » Temps des échanges autour d’activités communes, il est aussi celui de la transmission du vécu et des représentations collectives. «À la mauvaise saison, le soir, les femmes et les filles faisaient la picrie, elles piquaient les couvertures. Les garçons venaient, et puis après, ça dansait! Les vieux jouaient aux cartes aux veillées. On faisait des crêpes... On racontait des histoires de veillées, de revenants, de fantômes, de loups. Mon père a vu des loups, moi je suis né en 1901, voyez! Quand ils gardaient les moutons, ils en avaient peur! On dit que lorsqu’on est suivi par un loup, il ne faut pas se retourner, mais taper avec ses sabots.  »

Cueillettes automnales
Bon nombre de petits fruits sont prélevés tout au long de l’automne pour la confection de confitures ou de liqueurs: Aubépine, Églantier, Sureau rouge, Néflier, Prunellier, Sorbier des oiseaux, Cormier. Les confitures d’Épine-vinette étaient commercialisées par de petites entreprises familiales dans certains villages de Côte-d’Or.
À l’automne, comme au printemps, changements de saison fondamentaux, il est coutume de se dépurer. La Bardane et le Rumex, principalement, seront alors utilisés en décoction. La partie de plante employée sera la racine. Sur son déclin à cette période de l’année, la vie va s’y réfugier et s’enfouir sous terre pendant quelques mois, «quand la sève redescend». Vie et mort de la végétation sont deux moments charnières dans le calendrier des pratiques.

Jeux et jouets
Aux filles, on enseignera la fabrication des colliers et bracelets de fruits rouges d’Églantier, les «Grint’ cul», ou encore de Fusain, les «Bonnets carrés». Quelques instruments de musique verte amusaient les enfants, tels les «tourniquets» de Cardère sauvage. Les fruits secs du Compagnon rouge et de la «Tartuelle», Rhinante crête de coq, «sonnaient comme des grelots».


La cardère

Fabrication du «tourniquet»
Avec les sommités sèches de Cardère à foulon, parfois appelé Chardon, est fabriqué un instrument de musique champêtre, le «tourniquet»: «Quand le Chardon est sec, le couper sous une fourche qui a une tige centrale et deux latérales. Puis couper la tige centrale de façon qu’elle soit plus courte que les deux autres. Sur cette même tige, fixer perpendiculairement un autre morceau de Chardon avec une longue épine de Prunellier. Frotter entre vos mains le bas de la tige centrale, en la faisant tourner sur elle-même. Le morceau perpendiculaire viendra taper sur les deux branches latérales. Ça fait clac-clac très vite! ».


Le«tourniquet».

À l’approche de l’hiver, «les parents fabriquaient des luges aux gamins»: «Je taillais dans le tronc d’un Frêne, dont le fil est courbé, un ski taillé en suivant le fil du bois. Je fais deux skis et puis je mets un châssis dessus, avec des lattes. Vous pouvez le faire aussi en Noisetier. Vous coupez deux troncs de Noisetier. Vous les courbez au-dessus de la vapeur. Il faut leur laisser prendre la forme. Et vous ajoutez un châssis. Pour que la luge aille plus vite, on taille une gorge dans les skis et on insère une tige de fer dans chaque gorge. Parlez si les gamins étaient heureux! ».

La bûche de Noël
Il est coutume de faire se consumer dans la cheminée une bûche, dite de Noël, ou encore «cheuche», pendant un cycle de douze jours, entre Noël et l’Épiphanie. Les aïeux disaient aux enfants qu’elle contenait des Noisettes et Noix déposées par des animaux de la forêt. Les enfants les y découvraient en effet le soir de la veillée de Noël. Les anciens conservaient «le noyau», cœur du bois qui n’a pas brûlé et qui gît dans les dernières braises. Il sera placé pendant une année sur la cheminée ou dans le grenier pour sa fonction protectrice contre l’orage. Entre bûche et foudre, se répondent les connotations symboliques autour du feu. Issus des braises incandescentes rituelles, tout en n’étant pas consumés, les derniers tisons détiendraient-ils le pouvoir de résister au feu? Le rituel lié à la bûche de Noël corrobore le caractère d’intériorisation de l’hiver. Parallèlement, il rappelle les feux de la Saint-Jean, et le brasier puricateur. Ici encore, le végétal est mis en scène à chacun des solstices.
Une autre espèce, la Joubarbe des toits, «Herbe à la Tonne» évoquant bien sûr le tonnerre, protège également de l’orage, du tonnerre et de la foudre. Ce danger menace la maisonnée entière, l’étable avec le bétail et les granges avec les récoltes. Ces trois bâtiments sont souvent attenants dans l’architecture morvandelle. Le risque porte donc sur l’ensemble de l’espace domestique. Perchée sur les toits de chaume, la Joubarbe en disparut peu à peu avec l’abandon de cette technique de couverture. Toutefois, elle est toujours cultivée dans certains jardins. Les ardoises et les tuiles ont fait tomber dans l’oubli la plante et son usage protecteur, voire médicinal dans certains cas. Divers informateurs attestent son emploi dans les cas de brûlures. Ceci rappelle, tout comme pour l’Aubépine, la représentation d’une plante liée au feu.

Au Gui, l’an neuf!
Pendant la «morte saison», l’Avent, Noël et le Carême sont autant de moments qui reflètent l’ordre social et religieux. Mais le Nouvel An, le Carnaval et au-delà le 1er mai laissent aussi place au désordre social avec notamment les parodies, déguisements, et charivaris. Certes ces fêtes sont l’héritage de manifestations pré-chrétiennes, fort souvent investies par l’Église. Elles ont gardé le reflet d’une forme de pensée profane dans laquelle on honorait le végétal. La protection de l’année nouvelle sera placée sous le signe du Gui. «Il faut accrocher le Gui après la porte. On passe dessous en disant “Au Gui l’an neuf! ” Ça porte bonheur. Le premier garçon qui passait dessous choisissait quelle fille il allait embrasser. » Cette pratique s’intégrait dans un rituel de socialisation. «Le premier janvier, on allait souhaiter la Bonne année. Mais, il ne fallait jamais qu’une fille rentre dans la maison la première. Ça portait malheur. Les hommes devaient arriver dans les maisons pour souhaiter la Bonne année, lorsque les jeunes filles étaient encore au lit, vers 5 heures du matin. Mais, il y a des mères qui ne voulaient pas laisser rentrer les garçons! Quand ils rentraient dans les maisons, ils allaient souhaiter la Bonne année aux filles qui étaient dans leur lit. Elles étaient vêtues d’un jupon, d’une chemise et d’une culotte longue. Les garçons leur donnaient la fessée, jusqu’à temps que les fesses rougissent, en chantant “Graine mon Blé, Graine mon Blé, Graine mon Blé”. Les vieux chantaient aussi! Ensuite, on buvait la goutte. On allait dans toutes les maisons. Quand le village était grand, comme à Dun-les-Places, la Bonne année se souhaitait toute la journée. On était un peu saoul! »
Ailleurs, cependant, selon certains informateurs, «il ne faut surtout pas mettre de Gui dans la maison, ça porte malheur». Cette inversion des croyances et du statut de la plante souligne les oppositions avec lesquelles joue la pensée populaire.
Parfois le Houx se substitue au Gui. «On accrochait un bouquet de Houx après la maison, quand il était en fleurs (fruits). On le mettait au jour de l’An, ça portait bonheur. » Après usage, tout comme le Buis, le Houx fait l’objet d’une attention toute particulière. «Quand le Houx était vieux, que les fruits séchaient, il fallait le jeter dans le poêle, le brûler et surtout pas le jeter dehors. »

Faire tourner le Buis
Le jour du Carnaval, il est coutume de «faire tourner le Buis», pratique divinatoire. «On allait cueillir le Buis vert le jour de Carnaval... On faisait tourner le Buis, on mettait les feuilles de Buis sur la plaque du poêle, une par une. Il fallait faire un vœu et si la feuille tournait, c’était signe de réussite. » Ce rituel participait du cycle de Carnaval et ses corollaires. «Souvent on tuait un cochon, au moment du Carnaval. La maîtresse de maison, en jetant le dernier bouillon, criait “Sarpent, sarpent, vaten, V’la Carêm’entrant”. » Le Carêm’entrant ou le Car’m’entrant désigne la période des trois jours qui se termine avec le Mardi Gras, et précède le mercredi des Cendres (début du Carême). «On allumait les feux, le jour des Brandons, le dimanche après le Carnaval, le Feu aux Brandons!... » Lors de ces feux de bordes étaient brûlés les végétaux issus des travaux de pléchis. Ces feux passaient pour protéger le villages des incendies pendant l’année.

En fin d’hiver, diverses salades sont souvent ramassées par les hommes, qui entretiennent les biefs et les sources, micro-milieux qui échappent le plus souvent au gel et au sommeil de la nature. En «morte saison», les hommes maintiennent un rapport étroit avec les plantes.

Malgré l’hiver, la relation au végétal n’est pas suspendue. En harmonie avec le temps astral, elles médiatisent le rapport à l’univers. Tout en mettant en correspondance vie naturelle et vie sociale, le rapport au végétal permet de différencier le défilement des jours, de l’ordonner et de dessiner un relief aux années émoussées par l’étirement du temps. La périodicité à la fois naturelle et culturelle permet de briser la continuité du temps absolu linéaire en décrivant un temps cyclique dans lequel la répétition annuelle du rituel gagne certainement en efficacité. Bien plus que l’horloge de l’univers ou le sablier des sociétés, le rapport au végétal va au-delà de l’appropriation d’un brin d’herbe. Il s’enracine dans le social comme véritable repère existentiel.


Noix et Châtaignes.

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