Les mais

D’autres cueillettes soulignent encore la ritualisation des rapports au monde végétal, rivés dans le calendrier culturel. Ainsi le premier mai, fête non christianisée, sont posés les mais. Prélevés pendant la nuit par les jeunes hommes du village, voire les soupirants des demoiselles, ces bouquets ou branchages sont placés à la fenêtre, voire sur la cheminée des maisons des jeunes filles. D’après Belmont, cette coutume correspondant à des «rituels de courtoisie» est attestée en France depuis le XIIIe siècle. Pour Van Gennep, ce rite correspond à une «préparation socialisée au mariage». Cette pratique semble circonscrite au nor-dest de la France. Symbolisant le printemps, l’épanouissement de la nature avec l’expansion du feuillage, la montée de la sève, le mai est porteur d’une signication sexuelle. Le sens de chaque mai puise à la logique de la classication populaire. Elle relève notamment des caractères morphologiques ou métaphoriques de la plante. «Je me souviens une année... parce que je voulais jamais fréquenter un gars du pays... Ils étaient en boule, alors ils m’avaient collé une botte de Luzerne! Ça voulait dire “pour une vache”! » Ces pratiques donnaient lieu à divers charivaris et participaient de la sociabilité villageoise: «Ils allaient chercher ça dans la nuit, le 1er au matin. Il y avait ça devant la porte. Ils dressaient un arbre. Des fois, ils en mettaient un au milieu du pays, et tout ce qu’ils trouvaient, ils le mettaient là autour de l’arbre. Et, avant cette nuit-là, il fallait tout camoufler! Une fois, ils avaient ôté mon portail! Mais, dites donc, si vous ne voulez pas ramener votre portail, ils peuvent très bien vous le ramener. Vous n’avez qu’à dire “je vous paie un coup à boire”! ».
Variable en fonction des communes, le langage des mais embrasse un nombre étendu de situations, allant du respect le plus profond au mépris le plus vif.

Langage des mais
Si le Merisier, en raison de la blancheur de ses fleurs, honore les filles «de bonne conduite», en revanche le Cerisier aux fleurs roses est destiné aux filles «impures». Le Charme convient aux «filles charmantes», le Frêne «aux filles bien fournies». Par allusion aux glands, les branchages de Chêne sont adressés à «une vraie truie». De même, les espèces dotées d’épines évoqueront l’image d’une personne désagréable: la Ronce ou le Prunellier pour «les malgracieuses», le Groseillier à maquereaux pour «les emmerdantes», le Houx «pour une personne que l’on n’aime pas», tout comme l’Ortie. Le Genêt et le Noisetier seront réservés aux «filles bonne à fouetter».

D’autres «mais» ont une vocation toute différente. Plantés sur le tas de fumier, le Charme, le Bouleau et le Noisetier chasseraient les couleuvres qui s’y logeraient et qui iraient traire les vaches. «Les vieux disaient “une branche de Noisetier, avant le lever du soleil, la nuit du 1er mai”, sur le tas de fumier pour que les reptiles ne s’y mettent, ni dans les bâtiments. » Ces mais préserveraient également des sortilèges. Le caractère magique du 1er mai s’applique à l’ensemble du mois. En Nivernais, collée au plafond ou bien accrochée à une poutre, la motte de beurre du mois de mai est le remède des plaies et des abcès pour les hommes et les animaux. Fondée sur la qualité supposée bénéfique de ce jour, voire du mois complet, ce rite propitiatoire participe donc d’une même logique. Celle-ci soustend également la pratique suivante: «Les trois premiers jours de mai, il faut mettre des fleurs jaunes dans la maison, comme les Bassins d’or, les Boutons d’or. Ma grand-mère et ma mère le faisaient, moi aussi! ».

Les croisettes de Noisetier
Autre rite du cycle agraire de mai, les Rogations se déroulent pendant les trois jours avant l’Ascension. Elles donnent lieu à des cérémonies, prières et processions pour protéger les cultures et les récoltes de l’espace communal. Le premier jour était destiné à la fauchaison, le second à la moisson et le troisième aux vendanges. Le temps qu’il fait chacun de ces trois jours indique celui qu’il fera pendant les travaux agricoles qui lui correspondent. Au cours des processions, balisant l’espace domestique, on orne chaque parcelle cultivée, parfois même le jardin, d’une croix de Noisetier, appelée «croisette» ou «crouyotte» à la fonction propitiatoire. «Le 3 mai, c’est la fête de la Sainte-Croix. On amenait bénir à la messe de huit heures les croix de Noisetier. Elles étaient décorées, on y faisait des rainures au couteau dans l’écorce. On l’ornait avec l’Herbe de la Sainte-Croix, encore appelée l’Herbe de la Sainte-Vierge (Stellaire holostée). On y faisait trois ceintures de fleurs sur la croix. Quand le Blé mettait en épi, on plantait la croix au milieu du champ, une plus haute pour les champs de Chanvre. Ça arrivait qu’on les portait à la Fête-Dieu. Celui qui la trouvait après en fauchant payait son litre aux autres! » On plante des «croyottes» contre les intempéries, contre la grêle, contre l’orage, mais aussi pour la fertilité des cultures. «Il fallait faire des “crouyottes” le plus haut possible pour que le grain vienne le plus haut possible! » Rites de protection contre les calamités naturelles et rites de fécondité à la fois, la tradition a disparu peu à peu «vers 1928 après la génération d’après guerre». «Mon grand-père m’envoyait bénir les crouyottes pendant la semaine des Rameaux. J’allais au catéchisme, mais j’avais honte d’aller faire bénir les croisettes. J’étais le seul enfant du village à les porter. Personne ne croyait plus à ça! Alors, je les ai cachées dans un fagot en partant au catéchisme et je l’ai repris après. Quand mon grand-père m’a demandé si je les avais bien fait bénir, j’ai dit “oui, oui”. Après, il allait ficher une crouyotte dans chaque parcelle à grain, Blé, Orge, Sarrasin. Il se mettait à genoux. Il enlevait sa casquette. Il faisait la prière et le signe de croix... Je me souviens qu’au moment des Rogations, ma grand-mère disait “Plantez des Haricots pour les Rogations, vous en aurez à foison”. »
Cette pratique était parfois mêlée de rites païens. «On mettait d’abord les croyottes dans le tas de fumier, plantées, pour que les serpents ne viennent pas dedans, puis on les mettait dans les pièces de grain. » Dans le Sud-Morvan, à Moulins-Engilbert, une autre plante se substituait au Noisetier: «C’était un bouquet de Gaillet croisette qu’on mettait à l’entrée du champ, aussi au mois de mai». À travers l’image de la croix, qu’indique cette espèce, la constance du symbolisme religieux apparaît encore ici. Ce rite est un exemple de cérémonies pré-chrétiennes reprises en charge par l’Église qui n’a pu balayer ces pratiques populaires. Les processions rappellent en effet les ambarvalia de la Rome antique.

L’espace domestique était balisé de repères religieux, encensés à cette occasion, notamment par l’intercession du végétal. «L’Aubépine, on en faisait des bouquets pour décorer les croix dans les hameaux, au moment des processions, trois jours avant l’Ascension. On posait un drap, une dentelle au bas de la croix et puis l’Aubépine fleurie sur la croix. Le curé venait la bénir. » Habillée de ses fleurs blanches, elle évoque la pureté dans le religion chrétienne et est prisée dans divers rituels religieux. Toutefois, son statut demeure ambigu. «Il ne fallait jamais rentrer un bouquet d’Aubépine dans la maison, ça portait malheur. Ma grand-mère et ma mère le disaient, je fais pareil! » Ainsi, une même espèce fait-elle l’objet de pratiques populaires contrastées, en fonction du cadre dans lequel est supposé agir la plante.

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