Le jardin

Le «coutié» en Morvan, ou encore le «galot» en Avallonnais, lorsqu’il est défriché au milieux des roches, désignent le jardin. Sous ses diverses appellations, il constitue avant tout un espace domestique où la nature est contrôlée, maîtrisée et organisée par l’homme. Le jardin s’ordonne selon les représentations et les règles sociales. Projection des rôles de chacun, respect des modes de conduite du potager en fonction des influences saisonnières, voire lunaires, il est un micro-univers à lui seul. Il est l’objet d’un compromis entre l’occupation de l’espace, la gestion du temps imparti aux différents travaux, tels les semis, plantations, entretiens ou récoltes, et la rentabilité des cultures.

Il abrite de nombreuses espèces végétales cultivées ou spontanées, connues pour leurs différentes propriétés, parfois les cumulant: alimentaires, médicinales, domestiques, technologiques ou encore protectrices. La production dépasse ainsi le seul cadre alimentaire pour se superposer à celui du médicinal ou de l’ornemental. Il est parfois difficile de savoir quelle destination principale leur est attribuée. «La Camomille, c’est pour la tisane. Mais je n’en fais plus guère, c’est pour faire beau, ça fleurit partout! » Une autre informatrice confirme la complémentarité de l’esthétique et de l’utilitaire: «Là-bas, les pieds de Lys fleurissent tous les ans. C’est pratique, ça fait de belles fleurs et puis ça soigne les coupures». Certes, la facilité du mode de reproduction des plantes, vivaces ou de faible entretien, tient une place importante dans les processus de diffusion des espèces. «La Camomille et la Bourrache se ressèment toutes seules. » De plus, «la Menthe repousse chaque année..., la Guimauve, l’Arquebuse (Aurône mâle), c’est vivace! On en donne des boutures, ça reprend tout seul! ».
Dans le jardin, se perpétue le processus de domestication des plantes sauvages. La Centaurée des montagnes, par exemple, y fut introduite. Elle se développait autrefois dans les cultures de céréales. L’homme l’a vraisemblablement cultivée lorsque la plupart des terres labourables furent converties en prairies au XIXe siècle. De même, l’Arnica des montagnes est présente dans les jardins, notamment en périphérie du massif morvandiau d’où proviennent les plans. Vivant surtout sur les rocailles et les pelouses sèches, la Germandrée petit-chêne est cultivée aux abords secs et bien exposés des maisons. La Tanaisie commune est également introduite dans les jardins, entre les aromatiques et les médicinales.


Le jardin et les médicinales (Camomille, Violette, Lavande, Mauve, Ortie, Coquelicot, Menthe, Capucine, Souci, Tanaisie, Bleuet, Groseiller, Framboisier...).

Les médicinales du jardin jouent un rôle primordial dans la pharmacopée traditionnelle. Proches de la maison, ces plantes constituent une «pharmacie d’urgence». Celleci est d’autant plus sûre qu’on côtoie tous les jours ces remèdes, dont on veille à ce qu’ils «poussent bien». Toutes ces attentions consolident des pratiques qui résistent mieux à l’érosion du savoir. «Moi, les plantes du jardin, je sais bien ce qu’on en fait, mais dans la nature, je ne sais plus, plus personne n’y va maintenant... » Même si le couple participe aux travaux du jardin, seule la femme est investie du savoir et du savoir-faire liés aux plantes médicinales, intégrées à la sphère domestique. «Pour les plantes, il faut voir la patronne. C’est pas moi qui me mêle de ça! », nous dit le mari d’une informatrice.

Un important cortège de plantes alimentaires du jardin participe de l’hygiène populaire. Aussi, certaines pratiques alimentaires visent-elles à l’entretien du corps. «Dans le Nivernais, vous frottiez le pain d’Ail et vous le recouvriez de beurre, le pain docé, c’était une gourmandise! », qui «dépurait tout à la fois le sang». Il en va de même pour la Livêche officinale, parfumant le pot-au-feu. Aux différentes représentations de l’alimentaire, s’ajoute la valeur symbolique des nombres. «Les vieux disaient qu’il fallait 13 ingrédients dans le boudin: Oignon, Serpolet séché au four, Thym, Épinard, Persil, lard, sang, sel, Poivre, épices, crème, goutte... Mon père mettait de l’Ortie à la place des Épinards. »

Le jardin abrite encore des plantes tinctoriales pour la coloration des œufs de Pâques. Des fleurs odorantes comme celles de Lavande, Mélisse officinale, Œillet de jardin et Rose pour parfumer le linge dans les armoires, s’y laissent découvrir. Quelques adventices, plantes spontanées, considérées par certains comme «mauvaises herbes» sont mises à profit dans l’alimentation quotidienne, tels la Cardamine hirsute, le Pourpier potager ou le Chénopode bon-Henri. Le jardin cache encore certaines plantes protectrices, comme le Buis ou la Joubarbe des toits.

La composition floristique du jardin traduit des pratiques strictement locales. Le caractère méridional de l’aire de répartition de la Sauge officinale, de la Lavande et de la Verveine odorante cultivée en pot, témoigne de la spécialisation géographique des rapports à la flore domestiquée.
Miroir de diverses influences socioculturelles, les jardins du Bassin minier comprennent quelques plantes médicinales originales, ignorées des pays bourguignons voisins. Les jardins des anciens mineurs hébergent une plante originaire du Tyrol méridional et de l’Italie septentrionale, appelée le «Baume de la mecque», Mélilot bleu, employée comme vulnéraire sur les blessures. Autour des maisons est aussi remarqué le «Sang de dragon», Patience sanguine, espèce peu fréquente en France, toutefois assez commune dans la région houillère de Belgique. Le suc ainsi que la feuille de la plante étaient utilisés «en cataplasme pour soigner les furoncles que les mineurs attrapaient dans les mines». Une autre «Plante aux mineurs», Valériane Phu, originaire d’Asie occidentale, est également cultivée en Bresse pour ses vertus vulnéraires. «Elle a la propriété de tirer les cailloux, épines, débris de toutes sortes, hors des plaies. Elle servait autrefois à retirer les poussières de charbon des blessures des mineurs. » Les plantes remèdes sont le témoins des maux du mineur, exposé aux blessures, plaies et furoncles. Le cortège d’espèces végétales familières et précieuses aurait donc accompagné les populations immigrées de mineurs, venues en partie de l’Est. Si cette flore médicinale n’est plus guère employée de nos jours, le jardin demeure l’un des lieux identitaires du mineur.
Parmi les plantes du jardin, seront choisies à dessein les médicinales, qu’elles soient également aromatiques, potagères, protectrices ou ornementales. Quelques usages régionaux en illustrent l’intérêt quotidien.

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