La Théorie des Signatures

Maintes pratiques s’inspirent de la doctrine ancienne appelée Théorie des Signatures, ou Théorie des Correspondances. L’idée de la nature messagère évoquée par Pline, fut également en vogue auprès de la Chine et du monde arabe. On pensait alors que la plante délivrait un message et se faisait ainsi l’écho d’une manifestation d’ordre divin. Ce concept, qui a sous-tendu de nombreuses pratiques au Moyen Âge, a été repris par un médecin suisse, Paracelse (1493-1541). Celui-ci affirma que toute plante indique par sa morphologie, sa couleur, son odeur,... les organes et maladies qu’elle soigne.
Dans un univers encore tout habité de la pensée symbolique, la Théorie des Signatures, comme le signale Foucault, «devait accueillir à la fois et sur le même plan magie et érudition». Celle-ci indique l’un des chemins empruntés par l’homme, donnant accès au sens et à la fonction. Approche par le sensible, elle rappelle encore l’intégration d’une forme de pensée à un système de lois naturelles ou divines, depuis Pline et dont «jusqu’au XIXe siècle la médecine savante puis la médecine populaire font (...) un élément de leur raisonnement thérapeutique».


Agripaume

Cette Théorie des Signatures s’illustre par de nombreux exemples. Ainsi, sont reconnues les vertus de la grande Chélidoine dont le suc de couleur jaune rappelle les maladies hépatiques, telle la jaunisse. De même la Pulmonaire officinale, dont les feuilles portent la marque d’alvéoles, est employée dans le traitement des affections pulmonaires. Plusieurs des pratiques recueillies auprès d’informateurs semblent s’inspirer de cette médecine ancienne fondée sur les analogies. Par exemple, la Ronce, plante astringente, est utilisée comme adoucissante lorsqu’on l’applique, enduite de corps gras jouant le rôle d’émollient, sur la peau pour en faire sortir des épines. On ne peut que rapprocher l’épine et la Ronce, végétal porteur du mal et du remède. Soignant les cors, les racines de Sceau de Salomon ou d’Iris germanique traduisent également l’application de la Théorie des Correspondances par la ressemblance des excroissances des parties souterraines de ces végétaux et de celles des cors. Appliqué en cataplasme contre les douleurs, le Chou rouge rappelle par la couleur de ses feuilles les rhumatismes violacés. De nombreuses pratiques ouvrent les portes à l’exercice de l’imagination...
Les fleurs de l’Ortie blanche sont employées pour soigner le mal blanc. «Faire cuire les fleurs dans l’eau, les appliquer sur le mal blanc, ça tire bien le pus. » On pourrait encore deviner la Théorie des Signatures à travers l’usage de ces mêmes fleurs dans les cas de pertes blanches ou leucorrhées: «Préparer une infusion de fleurs et faire un lavage interne. Répéter pendant plusieurs jours». La plupart de ces pratiques illustre en grande partie des savoirs concernant des affections externes ou bien des maladies présentant des symptômes externes. L’exemple de la Vigne est également éloquent. «Quand on taille la Vigne en mars, il y a la sève qui revient. Elle pleure. Ça coule de la branche comme des larmes. On ramassait ça dans une bouteille. Ça se servait quand on avait mal aux yeux. On en frottait la paupière... C’est pour les conjonctivites, le mal aux yeux. Ça se conserve dans la bouteille pendant bien six mois. Après ça moisit. » Par le jeu des correspondances, se rapprochent ainsi les «larmes de la Vigne» et les sécrétions lacrymales.


Ronce à 5 folioles

La médecine populaire porte à penser que plusieurs plantes ont pu être sélectionnées pour ce qu’évoquent leurs racines, feuilles ou fleurs, telles celles de la Bourrache pour faire sortir les boutons de la rougeole. Ce parallèle entre la nature et l’homme va jusqu’à se prolonger dans le choix des espèces dépuratives et fortifiantes dont plusieurs évoquent le sang par leur couleur: racine de Bardane, fleurs de Fumeterre officinale et Patience sanguine (ou Sang de dragon) pour «dépurer»; Germandrée petit-chêne, Petite Centaurée ainsi que différentes plantes macérées dans du vin pour «fortifier».
Comme le souligne une femme de la Bresse, le courant de la Théorie des Signatures irrigue encore de nos jours la mémoire collective: «On fait une préparation avec les feuilles de cette plante, l’Agripaume cardiaque, qui pousse le long de la maison... On met les feuilles dans l’eau-de-vie. On recommence tous les ans. Je me suis coupée jusqu’à l’os quand j’étais jeune. On m’avait mis cette feuille sur la coupure. La feuille en séchant brûle la peau. Elle vous laisse les marques sur la peau, comme des nervures! Mais ça évite l’infection et ça ressoude». Aux allures de pansement, les pétales de Lys blanc macérés dans l’alcool, également apposés sur les plaies, passent «pour ressouder les chairs» et les rendre, à l’image de ces pétales, à nouveau «lisses».
L’élaboration des savoirs repose particulièrement sur la perception sensorielle de la plante, codifiée par le prisme des modes de pensées et des représentations. Elle invite à «refuser le divorce entre l’intelligible et le sensible». Notons en outre que la plupart des propriétés vernaculaires des espèces recensées ont été confirmées par les données pharmacologiques actuelles. Et si nous nous risquons à parler ici de «magie», pouvons-nous rappeler, comme l’a écrit Mauss, qu’elle «touche de très près à la science»?

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